CHAPITRE 6

 

Nicolas fit le tour du grand appartement pour en vérifier toutes les issues. Il se familiarisa avec l’emplacement des fenêtres pour savoir lesquelles se prêteraient le plus à une retraite précipitée. La porte d’entrée donnait sur le coin de la rue, et ils pourraient donc partir d’un côté ou de l’autre s’ils avaient à fuir. Il remarqua que le portail en fer forgé s’ouvrait lui aussi sur la rue. Il bordait une cour spacieuse et verdoyante, dont les buissons et les arbres offraient de grandes zones ombragées. En cas de besoin, elle pourrait fournir un abri sûr. L’appartement était doté d’un étage avec un balcon qui donnait accès au toit. Calhoun l’avait choisi avec soin. L’endroit leur offrait un refuge, des itinéraires de fuite et la proximité du Mississippi.

Dahlia ouvrit un coffre-fort caché derrière une toile sur laquelle des chevaux couraient dans les vagues. Il contenait des armes, des munitions et une belle somme en liquide. Il y avait aussi plusieurs papiers d’identité sous diverses formes : permis de conduire, cartes de sécurité sociale et autres, sous différents noms et portant les photos de Jesse Calhoun et de Dahlia Le Blanc.

Nicolas passa en revue les documents que Dahlia avait sortis du coffre, sans parvenir à faire abstraction du bruit de l’eau. Dahlia était sous la douche. Il avait beau faire tout son possible pour l’en empêcher, son imagination s’obstinait à invoquer l’image de son corps nu, trempé, les cheveux dégoulinants et le visage tourné vers le jet d’eau chaude. Il ferma les yeux pour tenter de l’effacer et poussa un petit grognement. Où était passée son autodiscipline ? L’impressionnant contrôle qu’il exerçait sur lui-même ? Il ne pouvait pas accuser l’énergie, sexuelle ou autre, d’être à l’origine de ses fantasmes. Non, ils étaient dus à l’image entraperçue de ses fesses, à la courbe de ses hanches. À ses seins nus qui luisaient sous le soleil. Ou peut-être à son sourire. Elle ne souriait pas souvent, mais lorsqu’elle le faisait, Nicolas était persuadé que c’était pour lui, et pour lui seul. Sans parler de sa peau…

— Hé ! Casanova ! Arrête de rêvasser et va te doucher. Tu embaumes comme un rat des marais, et très franchement, ça ne m’aide pas à me mettre dans l’ambiance.

Dahlia se tenait dans l’embrasure de la porte, vêtue seulement d’une serviette qu’elle avait nouée comme un sarong. Ses cheveux étaient enveloppés d’une autre serviette et elle faisait goutter de l’eau partout. De toute évidence, elle était descendue directement après sa douche pour lui reprocher son indiscrétion, mais avait changé d’avis en cours de route.

— Tu ne fais rien pour calmer mon imagination débordante, déclara-t-il en s’approchant d’elle.

Il s’arrêta tout près, la coinçant entre son corps musclé et le montant de la porte. Lentement, de façon mesurée, il tendit la main jusqu’à son visage. Elle n’eut aucun mouvement de recul, ce qu’il considéra comme une petite victoire. Elle se crispa en prévision du contact, mais ne grimaça pas lorsqu’il fit glisser son doigt le long de sa joue jusqu’au coin de sa bouche.

— Ta peau est d’une beauté incroyable.

Les yeux de Nicolas s’assombrirent et se firent méfiants. Il sentit qu’elle se raidissait, mais elle ne bougea toujours pas.

— J’ai envie de t’embrasser de nouveau, Dahlia.

Les yeux de la jeune femme étaient immenses. Elle leva le menton tout en continuant de le dévisager.

— Moi aussi, mais cela ne veut pas dire que nous devrions le faire. C’est dangereux. Et nous ne nous connaissons même pas.

Un petit sourire, sorti de nulle part, se forma sur les lèvres de Nicolas.

— Je serais ravi de te connaître intimement. Très intimement. Cela résoudrait rapidement le problème.

Il fit glisser son pouce sur le velours de sa lèvre inférieure et commença à la caresser. Il était fasciné par la forme de ses lèvres. Il pouvait même en sentir le goût dans sa propre bouche ; obsédant, féminin. Enivrant.

Des flammes éclatèrent entre eux et recommencèrent à les consumer. Dahlia prit une brusque inspiration.

— Nicolas.

Il perçut de la douleur dans sa voix.

De ses doigts, il traça les contours du cou de la jeune femme. Il savait que ce n’était pas bien. Il comprenait parfaitement les conséquences de ses gestes mais, pour lui, plus rien ne comptait que l’envie de la toucher. Se coller à elle, peau contre peau. Enfouir son corps au plus profond du sien. Tout le reste n’était que détails. Il ressentait un besoin primitif d’imprimer sa marque sur elle pour qu’elle soit à lui pour toujours. Qu’elle le désire autant qu’il la désirait.

Dahlia sentait la chaleur les submerger tous les deux. Il aurait été si facile de passer ses bras autour du cou de Nicolas et se laisser consumer par les flammes, mais cela n’aurait pas été juste pour lui. Il n’avait pas la moindre idée de ce qui l’attendait et des dangers qu’il courrait si cela arrivait. Elle inspira profondément et posa fermement la main contre le torse du soldat.

— Va te doucher. À l’eau froide, ça te fera du bien.

Il fallut quelques secondes à Nicolas pour refréner les besoins impérieux de son corps. Tandis qu’il s’éloignait d’elle, il laissa son doigt glisser le long de son cou et caresser la rondeur de son sein, puis laissa retomber sa main.

La jeune femme frissonna. Elle resta immobile, à quelques centimètres de lui, refusant de reculer… ou d’avancer.

— Heureusement, Jesse a stocké des vêtements pour moi dans un placard. C’est un homme prévenant.

— Prévenant ? Tu veux dire sans-gêne, plutôt. Je te préfère nue.

— Nicolas, l’avertit-elle. Je ne tiens plus qu’à un fil. Tu es censé m’aider.

— Redis-moi pourquoi et je ferai de mon mieux.

— Nous ne savons pas ce qui peut se produire.

Il était toujours si près d’elle qu’elle percevait la chaleur de son corps. Son désir était aussi intense que manifeste, et il ne faisait rien pour le cacher.

— De plus, ajouta-t-elle en levant la main avant qu’il ait eu le temps de répondre, je ne suis pas encore totalement à l’aise avec toi.

Il poussa un petit soupir.

— Tu as réussi à trouver le seul argument qui ne me laisse aucun autre choix.

Il monta les marches, à l’agonie.

Après une mission aussi difficile, Nicolas aurait dû profiter pleinement de la douche chaude, mais il découvrit que ce n’était pas le cas. Tout en lavant la boue collée dans ses cheveux, il réfléchit à la cause de son malaise. Il aimait la solitude. Il en avait même besoin. Il avait choisi de mener une vie solitaire et évitait généralement la compagnie. Mais ce n’était qu’à contrecœur qu’il s’était éloigné de Dahlia.

Nicolas était une personne méthodique, qui envisageait toute chose du point de vue de la logique. Tout en se douchant, il se força à retrouver son autodiscipline. C’était lui, et non pas Dahlia, qui aurait dû garder le contrôle de la situation, mais c’était bien elle qui les avait arrêtés deux fois au bord du gouffre. Son manque de discipline, lui qui était d’ordinaire si maître de lui, le mettait mal à l’aise. Déterminé à retrouver sa tranquillité coutumière, il commença l’exercice que lui avait appris son grand-père maternel, Konin Yogosuto. De manière automatique, il se mit à respirer profondément. Il se concentra sur les enseignements qu’il avait reçus, sur les croyances qui faisaient partie intégrante de sa vie, de ce qu’il était. L’unification de l’esprit et du corps. L’harmonie sans faille du monde. Ne faire qu’un avec l’univers. Là où règne le chaos réside aussi le calme. Il répéta ce mantra familier et s’en sentit apaisé.

Dahlia attirait l’énergie, qu’elle soit violente ou sexuelle, ou même ordinaire. Nicolas générait de l’énergie rien qu’en pensant à elle. En la désirant. S’ils voulaient parvenir à un terrain d’entente, il lui fallait trouver le moyen de se contrôler. Dahlia était un être unique, qui avait mené une existence tissée de solitude et de traîtrise. Il lui faudrait gagner sa confiance, en dépit de l’attirance physique qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Dahlia avait besoin d’amitié, de se sentir « normale », si jamais cet état existait. En tout cas, Nicolas était bien décidé à trouver l’équilibre indispensable à leur relation.

Il était heureux d’être à nouveau propre et sec. Tout en enfilant un jean, il se demanda quelle avait bien pu être l’enfance de Dahlia. Pendant que lui chassait, pêchait et apprenait les arts martiaux, elle avait passé sa jeunesse seule, dans des pièces équipées de vitres sans tain derrière lesquelles se cachaient des observateurs silencieux. Ses grands-pères à lui l’avaient aimé et souvent serré dans leurs bras, fiers de ses succès. Il y avait eu deux femmes dans la vie de Dahlia, et elles ne lui avaient pas été entièrement dévouées. Elle avait besoin de temps. Même s’ils entamaient une relation charnelle, Nicolas savait que cela ne lui suffirait jamais. Il désirait Dahlia Le Blanc corps et âme.

 

Dahlia s’habilla lentement, heureuse que Jesse ait pensé à laisser des vêtements pour elle dans le placard. Tout en enfilant son jean, elle écouta le bruit de la douche. Nicolas avait pris le pouvoir sur elle, et le savait. Jamais Dahlia n’avait laissé personne la dominer à ce point depuis le professeur Whitney, lorsqu’elle était petite. D’autres personnes avaient peut-être cru y être parvenues, mais elles s’étaient toujours trompées. Jamais elle n’aurait dû lui avouer aussi naïvement qu’elle avait envie de l’embrasser.

Jesse lui avait toujours dit de se ménager un plan de secours et de ne jamais faire totalement confiance à qui que ce soit. Jusqu’ici, cela n’avait jamais semblé poser de problème. Même Milly et Bernadette, les deux personnes qu’elle avait réellement aimées, avaient été placées à ses côtés pour l’espionner, et pas seulement pour le compte du professeur Whitney. Ce dernier s’était désintéressé de son sort lorsqu’elle avait atteint l’âge de dix-sept ou dix-huit ans. Il avait payé la maison, ainsi que tout le matériel du gymnase, mais, après avoir conclu qu’elle ne serait jamais capable d’évoluer sur le terrain, il n’était pas revenu. S’il avait vérifié, ne serait-ce qu’une fois, il se serait rendu compte qu’il s’était trompé, peut-être à cause de l’indomptable opiniâtreté de son ancien cobaye.

Dahlia se rendit ensuite à la cuisine et ouvrit les placards. Ils ne contenaient que le strict minimum. Elle prépara du café, surtout pour en sentir l’arôme et pour s’occuper, tout en se demandant qui pouvait bien vouloir sa mort. Qui était au courant de son existence, et pourquoi souhaitait-on l’éliminer ? Était-il possible que les personnes pour lesquelles elle travaillait ne veuillent pas que l’on sache ce qu’elle faisait pour elles, et qu’elles aient envoyé une équipe pour la tuer, elle, ainsi que Milly et Bernadette ? Cela ne tenait pas debout. Absolument pas.

Elle sécha ses cheveux mouillés avec la serviette. Il était inutile de les tuer. Personne ne prêterait foi aux divagations de Dahlia Le Blanc, une femme ayant passé la majeure partie de sa vie dans un sanatorium. C’était à la fois un alibi et une protection. Si jamais on l’avait capturée, on l’aurait prise pour une aliénée, obnubilée par ses propres théories de conspiration.

Elle leva les yeux lorsque Nicolas entra d’un pas nonchalant dans la pièce. Ses cheveux étaient encore humides, et il ne portait qu’un jean bleu clair, sans chaussures ni chemise. La vue de son torse large et hâlé sema le trouble dans l’esprit de la jeune femme. Elle essaya de ne pas le regarder, mais c’était perdu d’avance. Elle tenta piètrement de camoufler son émoi en s’asseyant.

— Je suis en train de faire du café. Je me suis dit que cela nous ferait du bien à tous les deux.

— Ça sent très bon.

Par réflexe, il jeta un coup d’œil par la fenêtre pour s’assurer qu’ils n’étaient pas visibles de la rue.

— Raconte-moi comment tu t’es lancée dans ces missions de récupération, suggéra-t-il.

Dahlia s’appuya contre le dossier de sa chaise et le regarda longuement.

— Je crois que, si j’ai accepté, c’est uniquement parce que le professeur Whitney avait dit que j’en étais incapable. Je le détestais du fond du cœur.

— Parce que tu es contrariante, pour couronner le tout ?

Elle observa le jeu de ses muscles tandis qu’il s’approchait de la cafetière. Il ouvrit tranquillement le placard et en sortit deux mugs.

— Très contrariante, lorsque cela se révèle nécessaire. L’homme qui m’a engagée portait un uniforme, et Milly et Bernadette avaient peur de lui. Et ce n’était pas de la simple nervosité, si tu vois ce que je veux dire. Je crois qu’il y avait deux étoiles sur ses galons. Whitney était présent ce jour-là. (Elle haussa les épaules.) Je crois que j’avais dans les dix-sept ans, et que je me suis bien appliquée à ne rien écouter de ce qu’il me disait.

— Et sur sa manche ? Est-ce qu’il y avait une ancre à côté des étoiles ?

— Maintenant que tu le dis, oui, je m’en souviens.

— Étrange. Donc il s’est fait passer pour un militaire. Cela a peut-être commencé comme une opération secrète. Whitney avait de nombreux contacts dans l’armée. La plupart de ses contrats étaient avec le gouvernement, et il était habilité secret défense. Mais si Whitney a ensuite commencé à croire que ceux qui se servaient de toi étaient louches, pourquoi ne t’a-t-il pas tirée de là ?

— On ne s’entendait pas très bien, lui et moi. Lorsqu’il était là, des accidents se produisaient, répondit Dahlia en regardant ses ongles. Il s’agissait vraiment d’accidents. Je ne fais pas volontairement du mal aux gens. Les répercussions sont brutales. Je n’avais pas encore appris à contrôler mes émotions. Elles sont si intenses chez les adolescents, poursuivit-elle avec un haussement d’épaules. Je crois qu’il a préféré oublier jusqu’à mon existence.

— En tout cas, il s’est suffisamment souvenu de toi pour laisser une lettre à Lily dans laquelle il lui demandait de te retrouver, ainsi que toutes les petites filles dont il s’était servi.

— J’imagine que je devrais lui en être reconnaissante.

— Je n’irais pas jusque-là, répondit Nicolas. Si Jesse Calhoun appartient aux Navy SEALs et que l’homme que tu as vu portait un uniforme d’officier, qui ressemble fortement à celui d’un amiral, cela signifie que nous devrions commencer nos recherches par les groupes gouvernementaux secrets ayant des liens avec l’US Navy. Avant qu’on ne découvre ton existence, un groupe dissident de l’armée avait prévu d’annihiler le programme des GhostWalkers. Nous pensions les avoir tous mis hors d’état de nuire, mais quelques-uns sont peut-être passés entre les mailles du filet. Et si c’est le cas, cela veut dire qu’ils sont au courant pour Lily et pour le reste d’entre nous.

— Lily et les autres sont-ils en danger ? demanda rapidement Dahlia. Appelle-les et dis-leur d’être prudents. Je ne veux pas qu’il arrive quoi que ce soit à Lily, et surtout pas à cause de moi.

— Tu ne serais en rien fautive, Dahlia. Lily est dévouée aux GhostWalkers, et fait tout son possible pour retrouver vos anciennes condisciples afin de les aider à reprendre une vie normale.

Dahlia recommença à se sécher les cheveux avec sa serviette en regrettant de ne pas avoir de brosse.

— Pourquoi t’es-tu porté volontaire pour cette expérience ?

Nicolas hésita et choisit ses mots avec soin. Jamais il n’avait dit cela à personne.

— J’avais besoin d’amplifier mes capacités psychiques.

Dahlia attendit la suite. Constatant qu’elle n’arrivait pas, elle leva les yeux vers lui, de l’autre côté de la table, un sourcil dressé.

— Nicolas, personne n’a besoin d’une chose pareille. Comment as-tu pu avoir cette idée ?

Dahlia voyait clairement à l’attitude de Nicolas qu’il était temps de changer de sujet, mais elle ne comprenait vraiment pas pourquoi il aurait sciemment choisi le genre d’existence qu’elle avait été forcée de mener.

— Moi, je n’ai jamais rien connu d’autre, mais je suis sûre que tu as dû avoir une vie formidable avant de rencontrer Whitney.

Il haussa les épaules.

— Je voulais être capable de guérir les gens. Mes deux grands-pères pensaient que ce don était inné chez moi, mais je n’ai jamais réussi à l’utiliser.

— Et tu étais prêt à sacrifier ta vie pour cela ?

— Comme tu le vois.

— Mais cela n’a pas marché, hasarda-t-elle.

— L’expérience a été concluante, mais pas pour la guérison, répondit-il.

Dahlia observa son visage et remarqua la tristesse de son regard.

— Ça a amplifié tes capacités naturelles et fait de toi un soldat encore plus redoutable, n’est-ce pas ? demanda-t-elle. Et j’imagine qu’il n’y a aucun moyen d’inverser le processus ?

Nicolas secoua négativement la tête.

— Non, mais il existe des solutions pour mieux en supporter les conséquences. Lily te montrera comment évoluer à peu près normalement dans le monde. Elle nous a tous aidés.

Dahlia haussa les épaules.

— La rencontrer, cela me suffira. Au fond de moi, je pensais être folle de croire qu’elle existait. (Elle se passa la main dans les cheveux et souleva la masse humide de son cou.) J’y ai bien réfléchi. À mon avis, je n’aurai aucun mal à retrouver Jesse. Ils veulent que je vole à sa rescousse. Ils ont forcément laissé des indices derrière eux pour m’aider à retrouver sa trace.

Nicolas remplit un mug de café et le lui tendit. Leurs doigts se frôlèrent. Il sentit son ventre se nouer et son entrejambe se durcir. S’il avait été adepte des jurons, cela aurait été le moment idéal pour exprimer le fond de sa pensée.

— Je pense que tu as raison, répondit-il d’une voix calme et égale.

Dahlia avala une gorgée de café, lui offrant l’image même de la sérénité. Elle était assise en tailleur sur la grande chaise de cuisine, à l’aise dans son jean et son tee-shirt. Ses longs cheveux noirs descendaient en cascade jusqu’à sa taille, laissant des taches mouillées sur le tissu.

Nicolas détourna les yeux et reporta son attention sur la pile de documents d’identité.

— Est-ce que tu as trouvé quelque chose là-dedans susceptible de nous aider ?

— Pas vraiment. Et tes collègues ? Est-ce qu’ils ont les connexions nécessaires pour fouiller dans le passé de Jesse ? Un peu d’aide ne serait pas de refus.

— Lily dispose des autorisations de sécurité maximales, et peut pirater n’importe quel système informatique. Je l’ai appelée pendant que tu te douchais. (Il se passa la main sur la mâchoire.) Elle m’a chargé de te dire qu’elle était très heureuse que je t’aie trouvée, et qu’elle se sentait à présent beaucoup moins seule.

Dahlia baissa la tête, incapable de cacher l’expression de son visage. Lily avait toujours énormément compté pour elle, même lorsqu’elle pensait qu’elle n’était qu’un produit de son imagination. Elle avait du mal à identifier ce qu’elle ressentait, à présent qu’elle savait que Lily existait vraiment, qu’elle était vivante et heureuse que Nicolas l’ait localisée.

Elle avait l’impression d’avoir retrouvé une parente disparue. Elle avait du mal à contenir ses émotions.

— Dahlia, il n’y a aucune honte à montrer ce qu’on ressent. Tu connais toutes mes pensées.

Il avait espéré la faire sourire, mais il manqua son but. Assise sur son immense chaise, elle leva la tête vers lui, les yeux embués de larmes.

— Non. Je ne suis pas comme toi. Je te l’ai dit, je ne suis pas télépathe. Je peux projeter mon esprit si l’énergie s’y prête, et je peux répondre si mon interlocuteur garde le contact. Jesse était puissant, nous arrivions à communiquer. Tu es puissant toi aussi, tu maintiens le lien, mais je n’arrive pas à lire tes pensées. Je sens tes mains sur mon corps, ou ta bouche. Tout ce que tu penses se transforme en sensation très forte. Ce que tu émets, ce n’est pas mon cerveau qui le perçoit, c’est mon corps.

Nicolas s’assit lentement.

— C’est difficile à comprendre. Les pouvoirs de la plupart des GhostWalkers se fondent sur la télépathie, en grande partie en tout cas. Ce concept d’utilisation de l’énergie est différent. Je n’arrive pas à concevoir comment tu arrives à ressentir mes pensées au lieu de les entendre.

— Nous dispensons tous de l’énergie. Les émotions en génèrent, par exemple. L’attirance physique que tu éprouves pour moi est particulièrement forte. Son énergie est puissante, et elle me trouve.

— Est-ce déjà arrivé avec quelqu’un d’autre, à n’importe quel niveau ? As-tu déjà ressenti les pensées d’une autre personne ?

Il restait très calme, et sa respiration était régulière, mais il était désormais à l’écoute de son corps et de son esprit, et admettait que la vague de malaise, de violence sombre et dangereuse, faisait partie de lui, ce qui lui permettait de l’éliminer.

Dahlia secoua la tête.

— Petit veinard. Tu es le premier.

Il resta de marbre, sans laisser paraître le soulagement qui le submergeait.

— Je me considère en effet chanceux, et même privilégié, d’être le seul. Cela ne t’était jamais arrivé, même dans ton enfance ? Peut-être avec Lily, ou l’une des autres petites filles ?

Dahlia secoua de nouveau la tête.

— Jamais.

— Mais tu ne supportes pas la compagnie des gens, insista-t-il avec douceur.

— Les émotions fortes me rendent malade. C’est encore pire avec la violence. J’ai déjà fait des crises. J’ai même accidentellement blessé des gens à plusieurs reprises. On dirait que je le fais exprès, mais quand j’évolue au milieu d’une énergie violente, spécialement une colère noire ou les moments qui suivent un décès, comme c’est arrivé sur mon île, je génère de la chaleur en plus de mes émotions, et cela engendre des phénomènes. Mes propres émotions peuvent entraîner ces réactions.

— Les flammes. On a l’impression que tu les fais naître volontairement, mais c’est tout le contraire, c’est un manque de contrôle.

— Exactement, mais cela peut avoir son utilité de faire croire aux gens que je le fais exprès.

Une nouvelle fois, un vague sourire se dessina sur ses lèvres douces. Nicolas essaya de détourner les yeux de sa bouche et de ne pas se laisser dévorer par l’envie qu’il avait de l’embrasser.

Elle reposa son mug sur la table et s’appuya contre le dossier de sa chaise.

— Tu te rends compte que je ne sais rien du tout de mes origines ? Je n’ai même pas de famille. Tu dois te sentir très chanceux d’avoir connu ton grand-père. Parle-moi de lui.

— En fait, j’ai eu la chance de connaître mes deux grands-pères. Mon grand-père maternel était un Indien lakota, un chaman respecté, un grand homme. Il était capable d’exploits que je n’ai jamais vus ailleurs. Il disait que chaque chose avait un esprit, un souffle de vie, et il pouvait communiquer avec ces esprits. Un jour, j’ai vu un petit garçon qui était tombé du haut d’une falaise. Tous ses os étaient brisés et il poussait des hurlements de douleur. Pendant que nous attendions l’hélicoptère des secours, mon grand-père a entamé un chant sacré adressé aux esprits, les « seize qui ne font qu’un ». Il a posé les mains sur le petit garçon, et j’ai senti la chaleur qui se dégageait de lui. Lorsque l’hélicoptère est arrivé, le garçon ne hurlait plus et ses os s’étaient parfaitement ressoudés. C’est mon grand-père que les secours ont dû emmener à l’hôpital, parce que son cœur avait failli lâcher.

— C’est incroyable. Je comprends mieux pourquoi tu voulais être capable de guérir les gens. J’ai déjà lu des choses à ce sujet dans des livres, mais je n’en ai jamais été le témoin direct. Comment s’appelait-il ?

Nicolas sourit.

— Pour moi, Grand-père, tout simplement. Nicolas était l’un de ses noms, et il en avait beaucoup.

— Tu l’aimais vraiment, n’est-ce pas ? Tu dois être très fier de porter son nom.

Nicolas observa l’étrange petit rythme que les doigts de Dahlia battaient dans l’air. Elle ne semblait pas s’en rendre compte. Il se remémora le mouvement qu’il avait perçu dans la cabane du bayou, lorsqu’elle tapotait le matelas de ses doigts. Visiblement, c’était pour elle une habitude.

— C’est vrai, Dahlia, je l’aimais beaucoup. J’ai appris énormément de choses à ses côtés. Tu ne peux pas imaginer à quel point mon enfance a été idyllique. Mon grand-père m’a appris à chasser et à survivre dans toutes les conditions mais, surtout, il m’a enseigné le respect de la vie et de la nature.

Les doigts de la jeune femme le fascinaient. Les mouvements qu’ils décrivaient dans les airs avaient quelque chose d’hypnotique.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il.

Elle parut surprise. Elle s’apprêta à lui demander ce qu’il voulait dire, mais n’eut qu’à suivre son regard. Elle rougit légèrement et forma un poing avec sa main.

— Je fais des exercices avec des petites sphères. Cela m’aide à atténuer le bombardement constant d’énergie. J’en avais toute une collection, taillées dans différents minéraux, surtout des cristaux. Leurs propriétés respectives permettent de lutter contre divers types d’énergie.

Elle haussa les épaules comme si cela n’avait pas d’importance. Nicolas voyait clairement que ce n’était pas vrai.

— J’ai peut-être récupéré quelques-unes de tes pierres favorites. J’ai fourré celles que j’ai trouvées dans ta chambre dans la taie d’oreiller, juste avant de remarquer les explosifs.

Le visage de la jeune femme s’épanouit. Nicolas se sentit submergé de bonheur. Elle parut vouloir lui sauter au cou et il se prépara à son contact. Mais elle changea d’avis au dernier moment et se contenta de lui effleurer le visage de ses lèvres douces.

La joue de Nicolas s’embrasa. Ce bref semblant de baiser lui avait paru incroyablement intime. Il se passa les doigts là où les lèvres de la jeune femme s’étaient posées.

Dahlia rougit davantage.

— Je suis désolée, je n’aurais pas dû. Je sais que tu n’aimes pas plus que moi les contacts physiques. Je ne suis plus moi-même quand tu es là. Je te jure que je ne me jette jamais ainsi au cou des gens.

— Je crois que nous avons déjà établi que je n’éprouve aucune gêne à ce que tu me touches, Dahlia, répondit-il.

Il sortit la taie de son sac et fouilla dedans pour en retirer les sphères de cristal et de pierre. Elles étaient fraîches au toucher, lisses et dures. Leurs doigts se frôlèrent lorsqu’il les lui tendit. Il ressentit immédiatement une chaleur, comme si les sphères prenaient vie au contact de Dahlia. Il baissa les yeux pour regarder leurs mains rapprochées, les siennes grandes, celles de la jeune femme petites, et le souvenir de sa vision lui vint immédiatement à l’esprit.

— Merci, Nicolas, dit-elle en prenant les petites pierres.

Quelques-unes étaient en améthyste. Dahlia se mit à les caresser et à les faire rouler les unes contre les autres. D’autres étaient en quartz rose, et les dernières en aigue-marine.

Ce n’était pas grand-chose, mais elle en ressentit du plaisir, et c’était tout ce qui comptait pour lui.

— Tu crois vraiment que les cristaux favorisent la guérison ? demanda-t-il.

— Pour la guérison, je ne sais pas, mais ils permettent de concentrer l’énergie. En tout cas, je sais qu’ils m’aident énormément. Quand j’ai besoin de me calmer, ces trois pierres sont très efficaces, et d’autres un peu moins.

— Mes deux grands-pères se servaient de cristaux, expliqua-t-il.

— Parle-moi de ton autre grand-père.

— Il était japonais et s’appelait Konin Yogosuto. Après la mort de mon grand-père indien, c’est lui qui m’a recueilli. J’avais dix ans. Il menait une vie très simple. C’était un maître des arts martiaux, avec de nombreux disciples.

— Et toi aussi, tu es devenu son disciple ?

Elle le taquinait du regard. Il se sentit immédiatement réagir, et ses muscles se raidirent. C’était facile à accepter. Ce qui l’était moins, c’était la chaleur qui envahissait son cœur, qui semblait enfler dans sa poitrine. Il faisait le maximum pour garder l’air serein, comme il l’avait appris pendant tant d’années.

— Pas au début. Curieusement, comme mon grand-père Nicolas, il croyait lui aussi à la primauté de la guérison, et les gens venaient autant le voir pour bénéficier de soins que pour apprendre à se battre. C’était un homme très calme. Lorsqu’il parlait, j’écoutais.

— Donc tu as été élevé par deux grands-pères, sans aucune présence féminine. Moi, j’ai grandi aux côtés de deux nounous, dans un milieu strictement féminin. C’est intéressant de constater comme nos chemins sont parallèles.

Elle leva les yeux vers lui. Il y eut un moment de silence.

Une douleur. Une solitude lancinante. Nicolas commençait à comprendre ce que Dahlia voulait dire par énergie. Il percevait la tristesse qui émanait d’elle, et cela l’émouvait de manière insoupçonnée. Toute la tendresse qu’il abritait en lui, pour autant qu’il en ait, semblait réservée à Dahlia. Il la regarda déglutir en admirant la délicatesse de sa gorge. Elle paraissait si vulnérable sur cette grande chaise, les genoux levés jusqu’au menton.

Elle se força à lui sourire.

— Tu as déjà eu un chien ? J’en ai toujours voulu un. Ce n’est pas qu’ils auraient refusé, mais je redoutais ce qu’ils auraient pu en faire.

Elle baissa les yeux vers la table, incapable de le regarder davantage. Pourquoi diable avait-elle avoué une chose aussi intime à un parfait inconnu ?

— Tu avais peur qu’ils se servent du chien pour te contrôler ?

Dahlia garda le silence pendant plusieurs secondes, sans savoir si elle devait poursuivre ou mettre un terme à cette conversation. Finalement, elle hocha la tête.

— Tout le monde semblait exercer un contrôle sur moi, et je ne voulais pas que cela empire.

— Comment s’y prenaient-ils ?

Elle haussa les épaules.

— Ils savaient que j’avais besoin de la maison et de son isolement.

— Tu as de l’argent, Dahlia. Beaucoup d’argent. Tu pourrais avoir ta propre maison, dans un endroit aussi isolé que nécessaire.

Elle baissa la tête et fit tourner les sphères d’améthyste entre ses doigts. Nicolas remarqua avec quelle précision elles tournoyaient sur sa paume. Quelques instants plus tard, elles n’étaient plus dans sa main mais flottaient dessous, toujours avec la même rotation fluide, comme si ses doigts continuaient à les manier.

— Dahlia.

Il prononça son nom pour attirer son attention et attendit qu’elle lève les yeux vers lui, ce qu’elle fit à contrecœur.

— Tu les laissais te manipuler. Pourquoi ?

Cette fois-ci, elle resta muette si longtemps qu’il crut qu’elle ne lui répondrait pas.

— Je voulais une famille. Milly, Bernadette et Jesse étaient les seules personnes que j’avais au monde. Je suis restée pour ne pas les perdre. C’était un échange.

Nicolas contint un mot qu’il prononçait rarement et détourna la tête pour regarder par la fenêtre. Sa vision se troubla l’espace d’un instant, et il cligna rapidement des yeux pour l’éclaircir.

— Tu parles d’un échange. Tu aurais mieux fait de prendre le chien.

Il regretta ces mots dès qu’il les eut prononcés.

Dahlia se leva et repoussa sa chaise en arrière. Ses mains tremblaient. Elle les mit derrière son dos.

— J’ai besoin d’un peu d’air, si cela ne te fait rien.

Si elle éclatait en sanglots, elle ne le lui pardonnerait jamais… pas plus qu’à elle-même.

— Attends.

Il fit un pas vers elle. Avança en silence tel un prédateur. Le cœur de Dahlia se mit à battre plus vite. Elle recula, tout en sachant que ce n’était pas la bonne solution. Fais un pas sur le côté, pas en arrière, si tu veux éviter une attaque. C’était l’un des préceptes de base de l’entraînement qu’elle avait reçu.

— Dahlia, je sais que je commets des erreurs avec toi. Avec nous.

Il posa son mug sur la table, se frotta l’arête du nez et fronça les sourcils en la voyant prendre une pose défensive.

— Je n’ai pas plus l’habitude que toi de la compagnie. Je ne sais pas parler aux femmes, pas plus que tu ne sais parler aux hommes.

Il serra les dents pendant quelques secondes, sentant qu’il était en train de se ridiculiser, mais poursuivit malgré tout.

— Je ne sais pas toujours ce qu’il convient de dire. Je vais forcément te faire de la peine de temps en temps. Aide-moi. Sur le plan professionnel, il n’y a aucun problème, je sais exactement comment agir, mais sur le plan personnel…

Elle secoua la tête.

— Je ne sais pas comment m’impliquer dans quoi que ce soit, Nicolas. Je ne te serai pas d’un grand secours de ce côté-là.

— Nous devons donc apprendre ensemble. Est-ce vraiment si terrible ? Nous avons des choses en commun. Nous sommes tous les deux des GhostWalkers. Nous ne sommes qu’une poignée dans le monde. J’ai vu tes livres. Nous avons lu les mêmes.

— Quels livres ? lui demanda-t-elle sur un ton de défi.

Il y eut un petit silence.

— Je suis sûr que nous avons le même dictionnaire.

Nicolas regarda la bouche de Dahlia se détendre pour former un petit sourire. Il claqua des doigts.

— Esprit zen, esprit neuf. J’en ai usé deux exemplaires. Tu en avais un sur ton lit. Je l’ai mis dans la taie d’oreiller.

— Pas question que je te le donne, j’adore ce livre.

Dahlia était prête à lui pardonner, principalement à cause des efforts qu’il faisait pour la mettre à l’aise.

— Tu dois avoir faim, reprit-elle. Nous avons besoin de provisions. Je me disais que, si je me faisais un peu voir dans les rues, ils viendraient jusqu’à nous et cela nous épargnerait l’effort de les chercher.

— C’était un sniper qui était à nos trousses dans le marais, Dahlia. S’ils ont envoyé un tireur d’élite, c’était pour te tuer.

Il n’existait aucun moyen d’atténuer la vérité. Il n’avait aucune intention de la laisser se promener dans le Vieux Carré en jouant le rôle d’appât.

Elle hocha la tête.

— J’avais compris. Lorsque tu as annoncé qu’il était comme toi, j’ai tout d’abord cru que tu voulais dire qu’il était un GhostWalker, mais dans ce cas-là, tu aurais dit qu’il était comme nous. Tu ne l’as pas fait, donc c’était forcément un sniper. Comment as-tu su qu’il nous suivait ?

— L’instinct, le sixième sens, l’esprit de mon grand-père me murmurant dans l’oreille, je n’en sais rien. Quand je suis en mission, ce sont des choses dont je suis sûr.

— C’est vrai ? Tu peux entendre ton grand-père ?

Il n’y avait aucun amusement dans sa voix. Elle ne se moquait pas de ses croyances. Il y avait de l’intérêt, peut-être même une pointe de jalousie, mais Dahlia ne trouvait rien d’étrange à ce qu’il venait de dire. Elle acceptait les gens tels qu’ils étaient. Elle acceptait Nicolas. Ce dernier comprit alors que Dahlia avait mené une vie si marginale, si isolée, qu’elle n’éprouverait jamais le besoin ni l’envie de critiquer les bizarreries des uns et des autres. Il se demandait d’ailleurs si elle serait jamais complètement à l’aise en société.

Nicolas savait qu’il préférait lui-même une vie solitaire. Mais c’était par choix. Il savait qui il était et quelles étaient ses convictions. Il ne se sentait jamais obligé de s’expliquer ou de s’excuser, pas même devant Lily. Il la respectait, et éprouvait même une profonde affection pour elle, comme pour tous les autres membres des GhostWalkers, mais il réservait généralement ses émotions à sa famille. Les sentiments que Dahlia éveillait en lui étaient brûlants, passionnés et profonds. Ils déclenchaient chez lui une violence volcanique dont il n’avait jamais soupçonné l’existence, et qui le faisait rire, ce qui ne lui arrivait pas fréquemment.

— Nicolas, tu n’es pas obligé de répondre si tu n’en as pas envie. Je ne voulais pas être indiscrète.

Dahlia lui effleura le dos de la main, une caresse du bout des doigts qui laissa une trace enflammée sur sa peau.

— Si j’avais un grand-père comme le tien, je voudrais peut-être le garder pour moi.

— Mes deux grands-pères n’appartenaient à personne, mais au monde entier. Ils faisaient de leur mieux pour apporter la paix dans la vie de leurs semblables. Mon grand-père lakota me parle lorsque j’en ai besoin. Pour m’avertir, ou me rappeler des choses. Je le sens proche de moi. Et bousofu est également là lorsque j’ai besoin de lui.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? lui demanda-t-elle.

— Grand-père, grand-père décédé, traduisit-il.

— Combien de langues parles-tu ?

— Trop. Mes grands-pères avaient un grand nombre de principes en commun, entre autres celui d’apprendre autant de choses que possible.

Dahlia hocha la tête.

— J’ai beaucoup lu et écouté de cassettes. Ce sont des professeurs particuliers qui ont assuré mon instruction. Ils ne restaient jamais très longtemps, mais je n’avais pas besoin d’eux. Je ne voulais pas d’eux. Ma personnalité les impatientait, les effrayait ou les énervait. Tout cela se transformait en énergie négative que je devais supporter pendant leur séjour. Très souvent, cela ne venait même pas de moi. Ils étaient mal à l’aise avant même d’arriver au sanatorium.

— Tu as appris plusieurs formes d’arts martiaux.

— Oui, et la plupart du temps, comme c’était une activité physique et que mes professeurs aimaient ce qu’ils faisaient, c’était amusant. Plus tard, quand j’ai grandi et que l’entraînement est devenu plus sérieux, j’étais plus rapide qu’eux, et cela en a agacé plus d’un.

— Cela n’a rien d’étonnant. Tu mesures à peine un mètre cinquante et tu dois peser un peu plus d’une quarantaine de kilos. Et pour ne rien arranger, tu es une fille. Botter les fesses à un mec, ce n’est pas très féminin.

Dahlia remarqua la moquerie dans sa voix et, pour la première fois, ne se formalisa pas de cette pique sur son petit gabarit.

— J’ai bon appétit malgré ma taille. Tu es peut-être capable de survivre en mangeant les vivres de ton sac, mais moi, je veux de la vraie nourriture. Je me porte volontaire pour aller faire les courses.

— Je vais téléphoner pour qu’on se fasse livrer. On trouvera bien quelqu’un qui a envie d’un pourboire. C’est à ça que sert un portable, après tout.

— Tu n’as pas peur d’être devenu toi aussi un ennemi à abattre ?

— Ils n’ont aucune idée de qui je suis. Personne n’a vraiment pu voir mon visage, et le seul qui aurait peut-être été en mesure de m’identifier était le sniper qu’ils ont lancé à nos trousses. Il n’est plus en état de leur dire mon nom.

— Comment l’aurait-il su ?

Il haussa les épaules.

— Peut-être qu’il ne le savait pas. C’est plus que probable, mais les tireurs d’élite repèrent facilement la présence d’un des leurs. À la manière de suivre une piste ou à d’autres détails de ce genre.

— Je vois. (Elle ne voyait rien du tout, mais son impatience grandissait.) Écoute, Nicolas, j’ai besoin d’aller faire un tour. Ce n’est pas ta faute, tu m’aides beaucoup, mais même Milly et Bernadette ne passaient jamais plus de quinze ou vingt minutes avec moi, sauf si nous étions dehors.

— Est-ce que je projette de l’énergie sexuelle ?

Il porta à nouveau le regard sur les mains de la jeune femme. Elle faisait tourner les améthystes sous l’extrémité de ses doigts, sans les toucher, et les faisait léviter juste sous sa paume.

— Il y a toujours de l’énergie, mais ce n’est pas cela. Tu es d’une discrétion remarquable. La plupart du temps, à moins que cela soit sexuel, je ne perçois rien du tout. Ta compagnie est très apaisante.

— Et si tu sortais dans la cour, Dahlia ? Tu pourrais t’asseoir sous un arbre et te détendre. Je vais faire une liste des choses dont nous avons besoin, je téléphonerai au magasin pour qu’il nous livre, et je préparerai à manger.

Elle hocha la tête.

— Merci de ta compréhension. Ça me fait très plaisir.

— Dahlia. (Il l’arrêta avant qu’elle ait eu le temps d’atteindre la porte.) Je peux t’aider ?

Elle aurait dû se douter qu’il réussirait à lire entre les lignes. Elle fit « non » de la tête.

— L’activité physique me permet d’évacuer le trop-plein d’énergie. Tu as vu ma salle de sport. Je peux attendre la nuit et passer par les toits. Je vais juste me mettre à trembler un peu.

— Ça te fait mal ?

— Rien de grave ; et ne me propose pas de médicaments : je n’en prends pas. Je supporte plutôt bien la douleur et m’en sors toujours.

Il lui fit signe de sortir. Dahlia n’hésita pas une seconde. Elle avait besoin d’être seule. Mais une partie d’elle-même n’avait pas envie qu’il la voie telle qu’elle était vraiment. Elle étendit les bras, les doigts resserrés autour des sphères. Ses deux mains tremblaient. Elle était habituée à la routine et à la sécurité de sa maison. Ces moments passés avec Nicolas étaient grisants, mais avaient leur prix. Elle commença à trottiner dans la cour en faisant léviter les sphères sous ses doigts.

Jeux d'esprit
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